La vie d'Alexandre Dumas ? Un roman !
Alexandre Dumas, figure emblématique de la littérature française, est souvent réduit dans l'imaginaire de ses innombrables lecteurs à l'épopée héroïque des Trois Mousquetaires et à la vengeance du Comte de Monte-Cristo. Pourtant, sa vie personnelle fut aussi tumultueuse et romanesque que ses œuvres.
Aux origines de la légende (1802-1822)
Alexandre Dumas naquit le 24 juillet 1802 dans la petite ville de Villers-Cotterêts, en Picardie. Son père, le général Thomas Alexandre Dumas, était un métis né à Saint-Domingue – fils d'un marquis français et d'une esclave noire affranchie – et s'était illustré comme l'un des plus brillants officiers de la Révolution française.
Surnommé "le Diable Noir" par ses ennemis autrichiens, ce géant au courage légendaire servit un temps aux côtés de Bonaparte. On raconte que ce colosse, agrippé à une poutre, était capable de soulever un cheval avec ses cuisses !

Mais Napoléon, jaloux de son panache, le laissa pourrir dans une prison à Naples, au lieu de négocier sa libération. Le général mourut en 1806, laissant sa famille sans le sou.
Élevé par sa mère dans l'auberge familiale, le jeune Dumas grandit nourri des récits glorieux entourant la mémoire paternelle. À seize ans, il obtint un modeste emploi de clerc chez un notaire local. Mais l'horizon de la petite ville l'étouffe : en 1822, à vingt ans à peine, il rassemble ses économies et quitte Villers-Cotterêts pour monter à Paris tenter sa chance.
L'appel de Paris et les premiers succès (1823-1830)
1
1823
Arrivé à Paris, le jeune Dumas connaît des débuts précaires comme simple clerc de notaire. Il découvre émerveillé les soirées de la Comédie-Française.
2
1825
Après quelques vaudevilles refusés, il fait représenter une courte comédie, La Chasse et l'Amour, qui obtient un succès d'estime.
3
1829
Sa pièce historique Henri III et sa cour triomphe à la Comédie-Française. À 27 ans, il devient du jour au lendemain le chef de file d'un théâtre romantique populaire.
4
1830
La Révolution gronde à Paris. Loin de rester spectateur, Dumas monte aux barricades et prend part activement aux combats aux côtés du peuple.
Sa chance tourne lorsqu'il fait la rencontre du célèbre acteur François-Joseph Talma, qui le prend sous son aile. Grâce à des appuis conquis par son charme naturel, Alexandre est bientôt recommandé au duc d'Orléans (futur roi Louis-Philippe) qui l'engage comme petit secrétaire.
En 1831, dans sa vie privée tout aussi romanesque, Dumas reconnaît officiellement son fils naturel Alexandre Dumas fils, né sept ans plus tôt d'une brève liaison avec sa voisine couturière Laure Labay. Le petit Alexandre grandira pour devenir lui-même un écrivain célèbre, auteur de La Dame aux camélias.
Des feuilletons à la conquête du roman (1831-1844)
Au milieu des années 1830, la presse française connaît une petite révolution. Les journaux commencent à publier des romans-feuilletons à suivre, livrés chapitre par chapitre aux lecteurs chaque semaine. Alexandre Dumas flaire immédiatement le potentiel de ce nouveau média populaire.
En 1842, un jeune historien du nom d'Auguste Maquet lui apporte le manuscrit d'un roman. Dumas, flairant une bonne histoire, le réécrit entièrement à sa manière. Cette collaboration inaugurale en appelle d'autres.
Le 14 mars 1844, Les Trois Mousquetaires paraît en feuilleton dans Le Siècle – et c'est un coup de maître immédiat qui dope les ventes du journal. Ce succès phénoménal inaugure une période de sept années fastes durant lesquelles Dumas va donner vie à une série inégalée de chefs-d'œuvre populaires : Le Comte de Monte-Cristo (1844-1846), La Reine Margot (1845), Vingt Ans après (1845)...
Gloire littéraire et extravagances (1844-1847)
Fort de ces triomphes, Alexandre Dumas devient dans les années 1844-1847 l'écrivain le plus célèbre de France, sinon d'Europe. L'argent afflue à flots grâce aux droits de ses feuilletons, et l'auteur, généreux et épicurien, le dépense sans compter.
Avec les gains considérables de ses romans, il fait bâtir en 1846 un château extravagant aux portes de Paris, sur les hauteurs de Port-Marly. Ce petit palais néo-Renaissance, qu'il baptise Château de Monte-Cristo en hommage à son œuvre, lui coûte la fortune énorme de 500 000 francs.
En 1847, il inaugure fièrement le Théâtre Historique sur le boulevard du Temple, une grande salle dédiée à mettre en scène ses œuvres et celles des auteurs qu'il admire. À 45 ans, au sommet de sa gloire littéraire, Alexandre Dumas est donc riche en renommée mais fragile financièrement, dépendant du succès continu de ses feuilletons et de son théâtre pour entretenir son train de vie.
Tempête révolutionnaire et revers de fortune (1848-1851)
La Révolution de 1848
Un vent de révolte balaie l'Europe et Paris se soulève à nouveau en février. Cette Révolution, si elle enthousiasme le citoyen Dumas, va se révéler désastreuse pour l'homme d'affaires qu'il est devenu.
Perte du château
Un tribunal ordonne la vente aux enchères du château de Monte-Cristo pour payer les dettes d'Alexandre envers son épouse Ida. Malgré les protestations de Dumas, la sentence est confirmée en juillet.
Faillite du théâtre
En décembre 1850, c'est son cher Théâtre Historique qui dépose le bilan, incapable de se relever de la crise révolutionnaire. Endetté, harcelé par les huissiers, Dumas se retrouve acculé.
Le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte réalise un coup d'État et s'empare du pouvoir. Opposant déclaré à ce qu'il considère comme une trahison de la République, Dumas décide de quitter la France précipitamment. Il embarque pour la Belgique – Bruxelles plus précisément – où il rejoint d'autres proscrits, dont son ami Victor Hugo.
Âgé de 49 ans, Alexandre Dumas quitte donc Paris discrètement en ce début de Second Empire, laissant derrière lui dettes et scandales. Il emporte dans ses malles les souvenirs d'une gloire ternie – mais aussi sa plume, bien décidé à la mettre au service du récit de sa propre vie.
Exil, mémoires et renaissance (1852-1858)
Installé à Bruxelles dès 1852, Dumas tente de rebondir. Loin de la France, il trouve refuge dans l'écriture de ses mémoires. Chaque jour, à l'hôtel comme au café, il noircit des pages et des pages d'anecdotes sur sa jeunesse, ses succès, ses amours – bref, il fait de sa vie un roman feuilletonnesque.
Dès novembre 1853, Alexandre lance un nouveau quotidien à Paris, baptisé Le Mousquetaire – un clin d'œil à son roman fétiche. Il y publie en feuilletons ses Mémoires, mais aussi de nouveaux romans et une foule d'articles où transparaît sa verve inimitable.
En 1858, son ancien collaborateur Auguste Maquet lui intente un procès afin d'être reconnu co-auteur des grands romans qu'ils ont écrits ensemble. Le tribunal tranche en faveur de Dumas : Maquet obtient seulement 25% des droits d'auteur sur dix-huit romans concernés, mais aucun droit moral de paternité sur l'œuvre.
Infatigable, l'écrivain entreprend en juin 1858, à 56 ans, un long voyage en Russie impériale. Pendant près d'un an, il parcourt les steppes jusqu'aux confins du Caucase, vivant mille péripéties hautes en couleur.
Au service de l'Italie en révolution (1860-1864)
En 1860, une nouvelle cause enflamme son cœur de romantique : l'unité italienne. Son ami le plus cher n'est autre que le général italien Giuseppe Garibaldi, héros des Chemises rouges qui s'apprête à conquérir le royaume de Naples pour l'unifier à l'Italie.
Pour soutenir l'expédition de Garibaldi, il vend presque tout ce qui lui reste de biens afin d'acheter un navire chargé de fusils et canons de pointe. Cette année-là, tel un de ses personnages intrépides, l'écrivain s'embarque lui-même pour la Sicile afin de livrer ces armes aux garibaldiens en lutte.
Le 7 septembre 1860, Dumas est aux côtés de Garibaldi lorsque celui-ci entre en libérateur dans la ville de Naples acclamée par la foule en liesse. Sa bravoure et sa notoriété lui valent d'être nommé en 1861 directeur des fouilles de Pompéi et des musées de Naples par le nouveau gouvernement italien.
Durant trois ans, il va résider à Naples, occupant un somptueux cabinet de travail Via Chiatamone et se passionnant pour les antiquités romaines mises au jour sous les cendres. Parallèlement, il fonde à Naples un journal en langue italienne, L'Indipendente, pour soutenir l'unité italienne par la plume.
Le dernier acte d'une vie flamboyante (1864-1870)
Conférences
En 1865-1866, il entreprend une tournée de conférences à travers la France, où il raconte devant des salles conquises ses souvenirs littéraires et historiques.
Derniers écrits
Il continue à écrire : rien qu'en 1866-1867, il publie un roman historique Le Comte de Moret et un récit de la Révolution française Les Blancs et les Bleus.
Dictionnaire de cuisine
En 1870, il boucle un ouvrage qui lui tenait à cœur : un Grand dictionnaire de cuisine, savoureux mélange de recettes et d'anecdotes gastronomiques.
C'est aussi dans ces ultimes années qu'Alexandre Dumas va vivre une dernière passion amoureuse aussi scandaleuse que touchante. En 1867, il s'éprend de la belle Adah Isaacs Menken, actrice américaine de 32 ans à la réputation sulfureuse. Dumas a 65 ans, mais qu'importe l'âge : il s'affiche partout au bras de la jeune femme, provocant les ragots.
En septembre 1870, alors que la guerre franco-prussienne fait rage, Alexandre Dumas est terrassé par une attaque d'apoplexie. C'est dans la chambre d'une maison surplombant les falaises normandes qu'il s'éteint doucement le 5 décembre 1870, à l'âge de 68 ans.
L'immortalité d'un conteur
Si Alexandre Dumas a quitté ce monde, son étoile n'a jamais cessé de briller. Ses romans n'ont pas tardé à entrer dans le patrimoine universel des lettres. Déjà de son vivant, sa popularité avait franchi les frontières : aujourd'hui encore, Dumas figure parmi les auteurs français les plus traduits au monde.
Il aura fallu toutefois plus d'un siècle pour que la France honore pleinement l'homme autant que l'œuvre. Le 30 novembre 2002, à l'occasion du bicentenaire de sa naissance, la nation française a organisé le transfert solennel de la dépouille d'Alexandre Dumas au Panthéon de Paris, nécropole des grands hommes.
En refermant le livre de cette vie extraordinaire, on imagine volontiers l'esprit d'Alexandre Dumas esquisser un sourire. Lui qui avait fait de sa propre existence un roman plein de panache, d'amour et d'aventure, ne pouvait rêver plus belle ovation finale. Son credo pourrait se résumer ainsi : "Aimez la vie comme je l'ai aimée, sans mesure et sans raison, et elle vous le rendra au centuple."